Des regards, un métier
Agnès Mellon et moi partageons depuis plus de quinze ans le même élan vital pour la danse qu’elle restitue avec un œil photographique. Du corps en mouvement, rien ne lui échappe… même le hors cadre, même la marge. Son acuité sans failles, sa présence discrète, son pas silencieux ont conquis les institutions et les compagnies les plus prestigieuses ; le travail de commande s’est enchainé sans temps mort au point de constituer une bibliothèque iconographique à nulle autre pareille ! Chaque « état de danse » nourrit son écoute, ainsi, de répétitions publiques en studios, de générales en représentations, elle a su peaufiner son approche du travail des corps, des esthétiques et des écritures multiples. Et se poser cette question vertigineuse : « Est-il nécessaire de tout voir ? ». Et donc de tout montrer.
Sans percevoir en temps réel sa propre mutation, elle a développé un art et un style photographiques qui font de ses images des « œuvres » à part entière. Presque déconnectées de son sujet car peu importe l’identité de l’interprète, de la compagnie, du ballet. Demeure l’essentiel : le corps en mouvement. Ce qu’il dit de l’instant, de la lumière, de la tension, de la sensualité, de la violence, du désir, de l’envol, du repli, de la chute. Le corps y est fragmenté, la figure démultipliée, la peau mise à nu, l’intériorité des artistes dévoilée. Son appareil fouille ce qui est enfoui, caché par une posture, un vêtement. Il agit comme un révélateur de l’âme : la sienne, et celle des danseurs.
Aujourd’hui Agnès Mellon met à distance les commandes pour se réapproprier son travail, inventer une déclinaison originale, susciter l’appétence du regardeur invité au banquet. Elle ose démembrer un tirage pour créer des avatars, projeter une image à même le mur, une frondaison, se confronter au grain lisse et plastique d’une bâche. Elle réinvente l’exposition par le dialogue avec l’espace, la complexité des perspectives, les liaisons intérieur-extérieur. Elle affronte les intempéries et laisse le soleil couchant enveloppé la tulle imprimée de ses derniers rayons. Elle tente le tout pour le tout, plus libre que jamais : la photographie désaxée de son support, une partie de tôle décapée, une image contrecollée sur Dibon et incrustée dans la matière. Chaque exposition est une aventure inédite et un accélérateur de recherches de supports, de tentatives de nouveaux formats pour faire émerger un accrochage en résonance avec l’esprit du lieu. Désormais ses installations investissent le territoire de l’art contemporain, le « White cube » tout autant que les volumes anciens, et l’idée de créer « une fresque photographique » fait doucement son chemin… Ou une constellation en évolution perpétuelle, réactive à la lumière ambiante, aux sensations, à la déambulation, car la photographie peut, comme la danse, être en mouvement. Alterner bandes verticales et horizontales, passer du noir à la lumière, multiplier les gros plans, offrir des images de danse parcellaires, introduire la création vidéo, faire une pause, une respiration. Provoquer l’ambiguïté du regard par la métamorphose.
Marie Godfrin-Guidicelli
Journaliste – Agence Press’ Nomade
Avril 2018
Agnès Mellon expose à Marseille au Cabinet d’avocats Jurisconseil
Vers l’apparition de la chair
- 12 octobre 2017⇒31 décembre 2017 •
Depuis des années Agnès Mellon photographie la danse. Au plus près, comme si elle cherchait l’essence mystique des corps, non pas dans le mouvement, mais dans les appuis, les arrêts, les contacts. Sous des angles inattendus, des diagonales, des contre-plongées, en cherchant à saisir cette limite, ce moment, où l’espace noir cède la place à la chair éclairée.
Dans l’exposition que la photographe propose au cabinet Jurisconseil à Marseille, sa recherche se précise, se complète et se diversifie. À ses photographies de danse, de spectacle, s’ajoutent des images de training, de yoga, où les détails des corps plus à nu encore laissent sentir, sous la peau, les tendons et les muscles. Les formats photographiques s’adaptent à l’espace du cabinet d’avocat, longues banderoles dans l’escalier, projection sur une fenêtre, imprimés sur supports solides, séries thématiques sur les murs qui jouent de cadrages, et de légers décalages comme cinétiques… Variées et riches, l’enjeu n’y est plus d’y reconnaître les œuvres des chorégraphes, l’identité des corps surpris, mais de voir comment la manière de l’artiste évolue toujours vers plus d’intimité, vers le secret sous la peau, insaisissable, et pourtant…
Dans le sous-sol, pour la première fois, une vidéo. Le son est juste un souffle, celui de la photographe qui filme. Le mouvement n’est que celui de la lumière qui monte et éclaire peu à peu la chair. Qui apparaît, puis disparaît, simplement, sans que l’on puisse deviner exactement quand on commence à la voir, et à la perdre. Une métaphore de cet insaisissable qui, paradoxalement, nous permet peut-être d’en approcher…
AGNÈS FRESCHEL
Novembre 2017
Depuis le 12 octobre
Dans(e) (id)endité
Agnès Mellon
Cabinet d’avocats Jurisconseil, 23 rue Sylvabelle, Marseille
Visites sur rendez-vous avec l’artiste
06 72 73 05 16 agnesmellonphoto.com
avocat.jurisconseil.com
photographie : © Agnès Mellon